Témoignages

Valentine – février 2019- 

D’aussi loin que je me souvienne, je me grattais. Enfant, je grattais des petits boutons, des croutes. Cela s’est empiré quand j’étais adolescente.

J’ai eu de l’acné ; j’ai eu un traitement adapté mais je me grattais quand même.

Je pensais que c’était commun, que c’était un problème dermatologique. Les autres ados avaient aussi des boutons mais je remarquais qu’ils n’avaient pas autant de marques que moi. J’ai toujours eu des boutons et cela m’a pourri la vie. Je n’osais pas en parler car je rentrais dans la culpabilité et j’étais gênée.

Souvent, je mentais à mon entourage pour qu’il ne s’inquiète pas mais, en réalité, je me grattais tellement loin que j’ai eu des infections.. Je devais m’arranger pour que ça ne se voit pas. C’était difficile parce que c’était sur le corps et le visage. Je devais tout calculer ; par exemple, les vêtements que je mettais pour que ça ne se voit pas. Dans l‘intimité, je me cachais pour qu’on ne voit pas mes cicatrices. J’essayais de me maquiller, mais ça se voyait quand même.

C’est un problème qui me rongeait de plus en plus. Je l’ai subi parce que j’avais du mal à réaliser que c’était un trouble. Puis, j’ai cherché sur internet : la « Dermatillomanie » et je me suis reconnue.

C’est pour ça que j’ai décidé de consulter. J’aimerais, dans l’idéal, pouvoir sortir sans maquillage.

Ma famille, mes amis ne sont pas tous informés et pour ceux qui le savent un peu, ils n’imaginent pas l’ampleur que ça prend pour moi.

J’essaie d’aller mieux et je sais que comme je suis anxieuse, tout ce qui augmente mon stress augmente mes crises de dermatillomanie. Maintenant, j’arrive à diminuer un peu mon stress dans la journée et la fin de journée est moins difficile. C’était souvent le moment où je rentrais à la maison, où je relâchais tout, et où je passais du temps dans la salle de bain à me gratter.

Je me rends compte que j’ai le droit de souffrir, d’aller mal. Maintenant, j’ai aussi le droit de me faire aider parce que seule je n’y arrivais pas.


Monsieur X, en cours de thérapie en avril 2018.

Voici ce que je crois ressentir avant, pendant et après une crise ou juste un moment de dermatillomanie.

D’abord lorsque je suis seul j’éprouve un sentiment de liberté. Celle de pouvoir me réserver un temps d’intimité. Observer ma peau et y rechercher des choses à en extraire, voilà une « activité » qui reste aujourd’hui attirante pour moi. En effleurant ma peau, et j’ai l’impression que mes doigts ont développé une extrême sensibilité, je perçois de légers bossages. Un simple examen vient confirmer qu’il s’agit d’une racine de poil avec une bonne quantité de cette matière blanche à laquelle je ne donne aucun nom. Écrire cela me dégoûte et pourtant, lorsque je le fais, rien ne m’est plus naturel. Tant est si bien, que je crains de ne pouvoir jamais me débarrasser de cette habitude.

Une fois identifié le bon « candidat », je m’efforce de positionner au mieux mes doigts pour avoir le meilleur geste d’extraction possible. Je dois sentir une légère surpression locale,  puis, d’un coup, tout sort et plus la quantité est importante plus cela m’est agréable. Si une partie de la peau est arrachée, c’est que le geste était maladroit  et je m’en veux. Si au contraire le geste a été mesuré, la peau est intacte. Seul un petit point rouge ou une légère gouttelette de sang à l’orifice témoigne de ce qui s’est passé. Je vérifie d’ailleurs surtout que tout ce qui devait sortir est bien sorti. Au début de ma maladie, je croyais naïvement que cela purifiait durablement cette racine, cet endroit. Mais les sécrétions reviennent toujours. Puis, c’est comme une surenchère. Je sais aussitôt trouver un nouvel endroit, si possible, encore mieux. Et je passe vite, j’enchaîne pour être de plus en plus efficace. Parfois, il m’est arrivé de collectionner sur mon ongle ou sur un endroit de ma peau tous les extraits, comme pour constater un tableau de chasse, un butin. Mais cela est rare.

Au bout de quelques minutes, ou bien plus parfois, (surtout si je suis seul un soir), je constate enfin, non plus une récolte, mais l’étendue des dégâts : ma peau est constellée de zones rouges, plus ou moins gonflée et/ou sanguinolente. Je pense aux tâches de sang qu’il y aura sur les draps. Je ne me sens plus du tout bien dans mon corps. Mes mains ne sont presque plus contrôlables et je sais que je verrai d’un oeil encore plus lucide le lendemain matin, ma peau dévastée. Mes espoirs d’avoir pu résister ayant rencontré la fatalité d’un réflexe plus fort que moi.

Je n’ai pas pu combattre à armes égales.

En voyant cette peau qui est mon corps, mon apparence, la part visible, en la voyant blessée, maltraitée, bafouée finalement, je m’en veux terriblement. Je me promets inlassablement d’arrêter, mais je vais d’échec en échec.

Ce plaisir technique, subtil, me demande des contorsions parfois douloureuses et des acrobaties, semble plus fort que le reste.

Plus la thérapie avance, plus je crois pouvoir mettre des mots et un jour, avec la force des exercices  aussi, battre en brèche ce plaisir qui n’est qu’une illusion.


C.

Bonjour,

J’ai 48 ans et je suis mère de deux enfants. Depuis mon adolescence, je souffre –Non, je souffrais car c’est maintenant du passé- de dermatillomanie.

Je veux témoigner pour aider ceux et celles qui souffrent de cette pathologie, avec l’envie d’apporter de l’espoir à chacune de ces personnes, ainsi qu’à leurs proches.

Oui, cela peut avoir une fin.

Pour ma part, je me grattais, triturais, blessais longuement, principalement sur le visage (hum, mon visage, donc moi, ma personne), mais aussi sur la poitrine et le haut du dos.

Je ne me souviens pas exactement à quel moment cela a commencé, mais cela doit correspondre à la puberté. J’ai seulement le souvenir d’un jour où je n’ai pas résisté à percer un bouton blanc qui me faisait mal depuis quelques temps. Là, j’ai eu l’image d’une « pourriture » qui est sortie de mon corps.

Durant des années, je ne pensais pas que c’était une pathologie, mais plutôt un problème personnel, une mauvaise manie que je devais cacher à tous. Plus qu’un défaut, c’était une part obscure de moi dont j’avais trop honte pour en parler. Mais en aucun cas, je ne pensais me tourner vers le milieu médical pour cela. Le déni ? Sans doute.

Bien sûr, au début, j’ai pensé que la cause était extérieure : l’acné.

J’ai donc demandé à un dermatologue de me donner un traitement contre l’acné. Ce fut d’abord des traitements locaux, (pas d’amélioration) puis des antibiotiques (pas d’amélioration), ensuite le terrible « Roaccutane » qui desséchait ma peau et mes muqueuses, mais sur lequel (à 23 ans) je portais tous mes espoirs.

Pourtant, je n’y vis pas d’amélioration. J’entendis alors parler d’acné rosacé tenace, auquel je ne comprenais rien. En effet, à cette époque (reculée), Internet n’existait pas ! Et les ouvrages que je trouvais en bibliothèques étaient vagues où très compliqués s’adressant à des médecins qualifiés.

Les années ont passées. Avec cette « mauvaise manie honteuse » devenue avec le temps une sorte de rituel.

La salle de bain : quel lieu terrible ! Les miroirs d’ici et d’ailleurs reflétaient mon image immonde. Et la pince à épiler, des aiguilles ou de très petits ciseaux devenaient des outils ayant un magnétisme terrible.

Dès le matin, c’était l’inspection. Aucune croute, bouton ou simple irrégularité ne pouvait m’échapper. Et tout au long de la journée, lorsque je passais devant un miroir (sanitaire, ascenseur, cabine d’essayage), je ne pouvais pas réprimer la terrible envie de me gratter.

Ainsi, tout au long de la journée, même sans miroir, lorsque je passais inconsciemment la main sur ma peau, mes ongles faisaient leur ouvrage sur les croutes que j’avais moi-même déjà causées.

Plus qu’une envie, c’était un besoin, irrésistible malgré le grand sentiment de culpabilité qui suivait.

C’est le soir, que cela était le plus fort, en souhaitant me maquiller pour sortir …. Ce qui me menait souvent à annuler mes sorties sous des faux prétextes, car la honte était trop forte. Ma vie sociale, professionnelle et amoureuse, ont été très largement diminuées à cause de cette mauvaise image que j’avais de moi-même.

Oui, j’ai tenté différentes crèmes, cosmétiques et tout produit « miracle ».

Oui, j’ai bien sûr utilisé toute les méthodes d’évitement possible : miroir recouverts, salle de bain sans lumière, gants pour regarder la télévision ou lire, système de récompense si je me maîtrisais une journée (il m’arrivait de tenir 5 jours !!!!)…. Mais je rechutais et je n’en voyais pas la fin.

Le plus terrible, était le soir tard, quand chacun était couché et endormi. Une pulsion me conduisait vers la salle de bain… pour me soulager. Là, je me disais que je ne toucherais que l’un des boutons, mais c’était une chose bien étrange : le temps s’enfuyant sans que je ne m’en aperçoive. Certains diront comme une forme de transe. En effet, 15 minutes à 1 heure 30 pouvaient passer sans que je voie passer le temps. Puis, je reprenais « conscience » et je constatais les dégâts. Je culpabilisais terriblement et je retournais cette haine vers moi, car j’étais, moi, incapable de m’en empêchait.

Malgré, les réflexions de mes amis, collègues, famille, conjoint et enfin enfants, je n’arrivais toujours pas à me contrôler.

Vers 44 ans, j’ai vu une émission de télévision où une dame (Sonia) exprimait qu’elle souffrait d’un mal peu connu : la dermatillomanie.

Là, ce fut un choc pour moi. Je me retrouvais dans son témoignage.

Maintenant, je savais que je n’étais pas seule, et je pus mettre un mot sur mon mal.

C’est alors que je me tournai vers Internet. J’y trouvai des informations intéressantes mais sans réelles aides, puis je me suis tournée vers des forums de discussions. Enfin, je n’étais pas folle, ni seule. Chacune y donnait un témoignage et des conseils, mais encore aucune solution.

Jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle idée qui apparaissait sur ces forums : A Paris, un cabinet médical avait ouvert et traitait ce « mal ».

Habitant Toulouse, je ne pouvais pas aller régulièrement à Paris en consultation. Les séances m’ont été proposées par écran informatique interposé, mais cette affection était si intime pour moi, que j’avais besoin d’une écoute et d’un regard plus humain.

Pour ma plus grande joie, ce cabinet parisien formait de nouveaux thérapeutes et l’une de ces personnes était basée à Toulouse.

En novembre 2015, j’ai commencé ces séances.

A raison, d’une séance par semaine, j’ai vu mon état changer au fil du temps.

Celui-ci a été pour moi, assez long, plusieurs mois, mais je vous rappelle que cette pathologie a commencé à ma puberté et que j’ai 48 ans. Il fallait bien cela.

J’ai ressenti ces séances comme un mélange : d’enseignement sur cette pathologie, de tests écrits à faire sur place, de moments et ressentis à consigner chez moi, et surtout de moments de paroles.

Je me sentais particulièrement bien avec cette thérapeute, ce qui m’a permis de libérer ma parole mais aussi d’accepter ce que les résultats de ces tests. Oui, je me suis vue perfectionniste, avec une très mauvaise opinion de moi, mais ce n’était que le début.

Et puis, doucement, j’ai lâché prise. Il s’ensuivit une période sombre face à mes « démons » intérieurs qu’enfin je voyais.

Par la suite, j’ai perdu mes « terribles mauvaises manies/pulsions », et je ressentis un grand vide : comment réagir à mes angoisses, maintenant que je ne me grattais plus ?

Plus tard, j’ai ressenti quelques jours de bien-être intense : je flottais béatement : un vrai shoot !

Et enfin, je me posais, tout était Fini !!!!!

Après toutes ces années, près de 35 ans !, je ne me gratte plus…. Et sans retenues, ni stratégies d’évitement, ni remplacement par une autre pulsion.

C’est simplement fini.

Je souhaite à tous et à toutes d’être en paix avec son corps et sa personnalité, comme je le suis maintenant.