À propos de la Dermatillomanie

Définition

La dermatillomanie est un trouble considéré par la 5ème version du Manuel Diagnostique international des troubles mentaux (DSM V, APA, 2013) comme un Trouble Obsessionnel Compulsif (TOC). Ce trouble toucherait 1,25 % à 5,4 % des adultes (Odlaug et al., 2012) et de 2 à 9 % des étudiants (Calikusu et al, 2012), (Siddiqui et al, 2012), (Odlaug et al.,2012).

La dermatillomanie se caractérise par un triturage et/ou grattage répété, excessif et impulsif de la peau entrainant des lésions au niveau de la peau. Pendant les périodes de stress ou d’anxiété, la personne ressent le besoin de se toucher, triturer ou de se gratter la peau. Le comportement est suivi d’un sentiment de plaisir et de soulagement et de culpabilité d’avoir céder au comportement.

Différentes parties du corps peuvent être touchées : visage, bras, cou, nuque, jambes, etc. Ce trouble toucherait majoritairement les femmes, ce comportement débuterait à l’adolescence et perdurerait à l’âge adulte.

La personne ne peut s’empêcher de le faire, en dépit des conséquences que cela pourrait entrainer au niveau social, professionnel et personnel.

Les personnes atteintes de dermatillomanie ressentent une honte importante, elles n’en parlent pas et le cachent à leurs proches. Elles peuvent se sentir isolées, honteuses et réticentes à demander conseil ou de l’aide auprès des professionnels.

Les critères diagnostiques de la dermatillomanie selon le DSM V

  1. Triturage répété de la peau aboutissant à des lésions cutanées.
    B. Tentatives répétées pour diminuer ou arrêter le triturage de la peau.
    C. Le triturage de la peau entraîne une détresse cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
    D. Le triturage de la peau n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (p. ex. cocaïne) ou d’une autre affection médicale (p. ex. gale).
    E. Le triturage de la peau n’est pas mieux expliqué par des symptômes d’un autre trouble mental (p. ex. idées délirantes ou hallucinations tactiles dans un trouble psychotique, tentatives d’atténuer un défaut ou une imperfection perçus dans l’obsession d’une dysmorphie corporelle, stéréotypies dans les mouvements stéréotypés, ou intention de se faire du mal dans les lésions auto-infligées non suicidaires).

Conséquences 

De façon immédiate tout d’abord, la dermatillomanie peut entraîner des complications médicales comme le fait de saigner, de présenter des cicatrices, de larges plaies, des ulcères, des infections ou encore des décolorations permanentes de la peau. A plus long terme, certaines lésions peuvent nécessiter un traitement antibiotique contre une infection et même une intervention chirurgicale en cas de lésions plus importantes. Il existe même des cas rares de synovite des poignets et de scoliose dues à une dermatillomanie chronique et aux mauvaises positions lors des crises de grattage ou de triturage. (Simeon et al., 1997 ; Keuthen et al., 2000; Neziroglu et al., 2008 ; APA, 2013).

Au niveau personnel, les personnes qui souffrent de dermatillomanie ont tendance à éviter ou restreindre les activités qui pourraient exposer les plaies sur leur peau comme les activités sportives et de loisirs ou encore les relations intimes. En cas de sortie, les personnes tentent bien souvent de camoufler les plaies avec du maquillage, des vêtements ou des accessoires (Simeon et al., 1997 ; Keuthen et al., 2000 ; Arnold et al., 2001 ; APA, 2013 ; Rivière-Lecart, 2015).

Les grattages et triturages peuvent également entraîner un isolement social et des difficultés à aborder la dermatillomanie avec leurs proches ou leur médecin avec un sentiment d’incompréhension (Neziroglu et al., 2008 ; Rivière-Lecart, 2015).

Sur le plan professionnel et scolaire, les personnes rapportent des absences ou retards à cause des grattages ou des triturages (Flessner et Woods, 2006 ; Grant et al., 2012 ; APA, 2013 ; Rivière-Lecart, 2015).

Sur le plan émotionnel, il semble qu’immédiatement après les crises, des sentiments de culpabilité, de honte et de tristesse surgissent. À plus long terme, la dermatillomanie entraîne de la détresse ainsi que de la culpabilité, de la honte, de l’embarras, l’humiliation, de l’évitement, de l’anxiété ou encore du désespoir et de l’impuissance vis-à-vis de la dermatillomanie (Keuthen et al., 2000 ; Rivière-Lecart, 2015).

Causes

La dermatillomanie, au même titre que la trichotillomanie est un Comportement Répétitif Centré sur le Corps (CRCC). Même s’il existe une prédisposition génétique aux Comportements Répétitifs Centrés sur le Corps (Grant et al., 2012) , il faut également tenir compte d’autres facteurs impliqués, notamment : la personnalité, l’environnement, l’âge auquel les comportements ont commencé et la dynamique familiale.

Il est intéressant de noter que l’on retrouve des comportements similaires chez des espèces animales.  Les primates, comme les grands gorilles ou certains types de singes,  vont s’arracher les poils, se toiletter, se gratter pour enlever les puces et autres insectes et se livrer aux mêmes activités dans la fourrure de  leurs congénères.  On trouve des oiseaux qui  s’arrachent les plumes, des souris qui arrachent les poils ou les moustaches de leur fourrure ou de celle de leurs compagnons de cage.  Des chiens et des chats peuvent se lécher ou se mordre la peau de manière à dégarnir certaines régions de tous poils.  Les chercheurs s’intéressent aux animaux qui présentent des Comportements Répétitifs Centrés sur le Corps afin de comprendre les aspects neurobiologiques complexes qui sous-tendent leur existence.

En matière de facteurs psychologiques, on relève plusieurs hypothèses dans les études :

Pour Lang et al., 2010, la dermatillomanie viserait à réguler des émotions désagréables. Le comportement de grattage interviendrait en l’absence de coping adapté pour faire face à une tension interne. Les personnes présentant une dermatillomanie reportent souvent des hauts niveaux de tension, anxiété, stress avant de se gratter et une diminution de ces émotions pendant et après le grattage. Le comportement se verrait renforcé par le fait qu’il soulage d’une tension.

Parmi les traits de personnalité ou schémas cognitifs de prédilection, le perfectionnisme est souvent mentionné. L’étude de Hanstock et O’Mahony (2002) le niveau de perfectionnisme serait un médiateur du trouble de dysmorphie corporelle chez les personnes souffrant d’acné et de préoccupations excessives concernant leur apparence.

La vulnérabilité à la frustration et à l’ennui semblent aussi être des éléments récurrents dans les traits de caractère des « dermatillomanes ». L’étude de l’université de Montréal de Robert et al. (2015),  montre, à partir d’une cinquantaine de participants, atteints et non atteints que ces troubles de répétitivité se manifestent principalement durant des périodes d’ennui, d’absence d’expérimentation et de frustration. Les conclusions, présentées dans le Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, suggèrent que « bien que ces comportements soient associés à un important sentiment de détresse, ils semblent également satisfaire une impulsion et offrir une certaine forme de récompense personnelle ».

Pour Snorrason et al. (2011), les dermatillomanes auraient des pensées obsessionnelles concernant le fait de gratter/triturer leur peau et s’engageraient alors dans des comportements impulsifs visant à ressentir des sensations corporelles.

Les études soulignent la composante comportementale de ce trouble et plus généralement des CRCC. Ainsi les chercheurs ont été amenés à identifier des sous-types comportementaux dont 2  majoritaires « l’automatic » et le « focused » mentionnés par Capriotti and al. (2015).

Le comportement automatique, est associé à une absence de conscience du démarrage du geste, par exemple lors d’activités sédentaires (la télévision, ordinateur, repas ennuyeux,…) le patient se retrouve avec la main sur la peau (visage, jambes), en train de se gratter.

Le comportement volontaire, est généralement précédé d’une émotion négative ou une envie irrépressible de gratter, le sujet est conscient de son geste.

Un haut niveau de grattage dirigé (focused) est corrélé à un niveau élevé de sévérité de dermatillomanie, d’anxiété, de dépression et d’évitement émotionnel.

Corrélats neurologiques

On parle de corrélats pour évoquer des liens possibles, sans savoir pour autant si l’on parle de causes ou de conséquences, toujours est-il que l’on observe des modifications neurologiques chez certaines personnes souffrant de dermatillomanie.

  • Un déficit d’inhibition

Des recherches examinant le fonctionnement neurocognitif dans les cas de dermatillomanie ont montré des déficits dans l’inhibition motrice (évaluée avec le CANTAB Stop-Signal Task – SST), elle-même corrélée avec des anomalies dans le cortex frontal (Odlaug, Chamerlain, & Grant, 2010).

Une étude de neuro-imagerie a montré une anomalie bilatérale dans le cortex cingulaire antérieur, au niveau de la jonction temporale gauche, circuit impliqué dans la suppression des réponses motrices (Grant, Odlaug, Hampshire, Schreiber, & Chamberlain, 2013).

  • Un défaut de planification,

Plus récemment, un article a mis en évidence des anomalies dans les régions cérébrales impliquées dans la réalisation ou dans l’inhibition d’une action (Brian et al. 20016). Cette étude portait sur 18 sujets avec dermatillomanie et 15 sujets-témoins, chez lesquels ont été effectués des examens en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pendant la réalisation d’une tâche cognitive, le test dit de la « Tour de Londres », qui évalue les capacités de planification, d’organisation, de planification spatiale et l’intégrité des fonctions exécutives. L’activation de certaines régions cérébrales durant l’élaboration mentale de cette tâche a été comparée chez les sujets témoins et ceux affectés d’un trouble d’excoriation compulsive. Ils ont constaté que les sujets avec dermatillomanie présentent une “sous-activation fonctionnelle significative” dans une zone cérébrale englobant le striatum dorsal bilatéral (en particulier le noyau caudé, à droite), le cingulum antérieur (à droite comme à gauche) et les régions médianes frontales (à droite). Ces anomalies des régions cérébrales impliquées dans la réalisation ou dans l’inhibition d’une action semblent en lien avec la physiopathologie du trouble d’excoriation cutanée compulsive. Et plus généralement, cette étude laisserait entrevoir « des implications pour comprendre la relation entre la dermatillomanie et les troubles du spectre obsessionnel-compulsif ».

Selon nous, le comportement de vérification commun aux TOC et à la dermatillomanie pourrait s’expliquer en partie par un déficit des fonctions exécutives en matière de planification et de capacité d’inhibition de l’action.

Traitement

Beaucoup de personnes ayant une Dermatillomanie recherchent, au premier abord, un traitement dermatologique. Leur objectif est de traiter leur peau pour se débarrasser de toutes les imperfections  qu’elles voient, motivées par l’objectif ultime d’avoir une « peau lisse ». A ce stade, elles sont convaincues d’avoir un problème dermatologique et ne se rendent pas forcement compte que le vrai problème vient de l’image de soi et du caractère excessif de leurs exigences envers leur peau. Les traitements dermatologiques font donc souvent partie des actions thérapeutiques entreprises pour réduire le problème.

Cependant, les traitements dermatologiques ne permettent pas de s’affranchir d’un travail plus profond sur soi. La Dermatillomanie est en effet un trouble psychologique qui fonde ses racines dans une mauvaise image de soi et une défaillance dans la régulation des émotions. Pour traiter le Dermatillomanie, il faut donc considérer d’entreprendre une psychothérapie.

La Thérapie Comportementale et Cognitive (TCC) est considérée, à aujourd’hui, comme le traitement de choix pour la Dermatillomanie (Schuck, Keijsers & Rinck, 2011). La TCC est une thérapie evidence based qui a fait l’objet de nombreuses études de validation. Ces études scientifiques ont démontré l’efficacité des TCC dans  le traitement de troubles obsessifs – compulsifs et des conditions cliniques basées sur l’anxiété.

Concernant la Dermatillomanie, plusieurs techniques cognitivo-comportementales sont utilisées dans le but d’aider la personne à gérer ses impulsions et réduire les comportements d’excoriation. Une de ces techniques est l’Habit Reversal Training (entraînement par renversement d’habitude).

L’Habit Reversal Training se base sur le principe comportemental suivant : les comportements d’excoriation sont considérés comme une réponse conditionnée à certains situations ou événements que la personne vit dans son quotidien. Généralement, la personne ignore le lien entre ces déclencheurs et ses comportements. L’Habit Reversal Trining permet de rendre la personne plus consciente des déclencheurs et de leur impact sur l’impulsion de grattage de la peau. Dans un deuxième temps, la personne apprend à utiliser des comportements alternatifs afin de gérer différemment l’impulsion. L’apprentissage de nouvelles réponses comportementales est au cœur de cette technique (Maris et Vandereycken, 1999).

Grant et al. (2012) préconisent la thérapie comportementale incluant la technique du renversement des habitudes et la thérapie d’acceptation.

En complément de l’Habit Reversal Trining, d’autres techniques cognitive-comportementales sont utilisées en thérapie, comme la Restructuration Cognitive et le Contrôle du Stimulus. La Restructuration Cognitive aide la personne à remettre en question ses pensées négatives et ses croyances pour apprendre à penser d’une façon plus utile et aidante face à l’impulsion de gratter. Les techniques de Contrôle du Stimulus ont l’objectif de bloquer physiquement la possibilité de se gratter. Porter des gants ou cacher les miroirs sont par exemple, deux techniques basées sur le Contrôle du Stimulus.

Les techniques TCC dites de « 3ème vague » sont également largement utilisées dans le traitement de la Dermatillomanie. Elles ont l’objectif d’apprendre à la personne à mieux réguler ses émotions. La régulation des émotions est en effet généralement défaillante chez les sujets atteints de Dermatillomanie. Ces techniques thérapeutiques – qui sont, par ailleurs, des thérapies au sens propre – sont la Mindfulness (ou Pleine Conscience) et l’ACT -Thérapie d’Acceptation et d’Engagement, (Capriotti, Ely, Snorrason, & Woods,2015).

Elles apprennent à la personne à accepter l’inconfort que certaines émotions peuvent provoquer, sans le juger. En effet, selon cette perspective, la souffrance est le résultat de tentatives infructueuses d’éliminer l’inconfort que certaines pensées, émotions et sensations nous procurent. En d’autres termes, l’expérience inconfortable n’est pas problématique en soi, ce qui est problématique est notre tentative de contrôler et éliminer l’inconfort à tout prix.  Ces techniques nous amènent à changer la relation que nous entretenons avec nos pensées et à instaurer une nouvelle manière de réagir. Au lieu de répondre à l’impulsion de grattage par le grattage, la personne apprend à « laisser passer la vague» c’est-à-dire à accepter l’inconfort sans le juger et sans gratter sa peau.